Rien n’est plus à même de libérer d’un seul coup d’un seul notre pensée des chaînes étouffantes des idées reçues et à l’entraîner tous azimuts qu’une période révolutionnaire. L’histoire réelle, comme la nature créatrice, est bien plus étrange et plus riche dans ses inventions que le pédant qui classifie et systématise tout.
Lorsque parvint pour la première fois à l’étranger l’annonce de la marche des travailleurs de Saint-Pétersbourg pour remettre au tsar une supplique, celle-ci suscita généralement des sentiments mitigés et sans aucun doute d’abattement. Une image étrange de naïveté primitive empreinte dans le même temps d’un caractère tragique et grandiose, enveloppée d’un voile mystique inconnu et déconcertant, s’offrait au regard réaliste du sage Européen, qui hochait la tête tristement la tête devant l’aveuglement fatal de tout un peuple.
Ce n’est que lorsque les canons ont été montés sur l’esplanade Ostrow-Wassilewski, lorsque cet étrange pèlerinage a été accueilli par le tsarisme avec un sérieux au sens propre « sanglant » que se sont rappelés à notre souvenir Paris, les barricades, des réminiscences tout à fait modernes de l’Europe occidentale. Et lorsque nous apprîmes que dans d’autres villes de Russie le soulèvement prenait la forme populaire de la grève générale, avec de plus la distribution massive de tracts sociaux-démocrates, nous fûmes complètement rassurés sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’une caravane orientale, mais d’une révolution prolétaire moderne. …
Car le spectacle a déjà eu lieu une fois dans l’histoire, et le début s’est déroulé tout à fait selon la recette libérale. Ce 5 octobre 1789, lorsque le prolétariat parisien, les femmes en tête, se rendit à Versailles pour ramener son gros Capet à Paris et pour lui parler entre quatre’s yeux, les choses se passèrent d’abord avec une acceptable urbanité et dans un assez bel ordre. Louis XVI donna l’assurance, quoique les lèvres quelque peu tremblantes, qu’il souhaitait revenir “avec confiance et avec plaisir” auprès de ses chers Parisiens, et peu après il y eut même sur le Champ de Mars une grande démonstration de serments mutuels de fidélité et de vœux pour l’éternité, sans fin, tout à fait comme entre un lycéen amoureux et une gamine rougissante sous un lilas en fleur. Et pourtant, le bon Louis s’est vite tellement empêtré dans le jeu idyllique commencé avec le peuple qu’il a fini par perdre complètement sa tête de cochon.
Le pélerinage du prolétariat, 22 février 1905. Traduction Dominique Villaeys-Poirré, 15.02.1905
En 1905, une première révolution a ébranlé l’Empire russe. Une partie de la Pologne dont était originaire Rosa Luxemburg faisait partie de l’Empire. Cette première révolution russe a beaucoup marqué Rosa Luxemburg. Elle y a participé, a été arrêtée, emprisonnée. Elle lui a aussi consacré un grand nombre d’articles et d’analyses avant son départ et une fois libérée. Dans ces articles, toutes les révolutions précédentes alimentent sa réflexion: la Grande révolution comme elle nomme celle de 1789, mais aussi les révolutions de 1848 et la Commune. Ici un premier extrait. Il concerne la manifestation du 9 janvier 1905 (“étrange” pour les bourgeois, loin du schéma de la révolution) qui vit des ouvriers, femmes en tête, marchant derrière un prêtre apporter une supplique au tsar devant le Palais d’hiver. La réplique fut sanglante, le nombre de morts à la mesure de ce pouvoir absolu.
Dans ce texte important qui n’est pas encore complètement traduit [Cela sera fait rapidement], elle analyse avec humour et précision le départ “hors norme’ de ce mouvement révolutionnaire.
A réfléchir peut-être pour aujourd’hui, en pensant pourquoi pas au mouvement des gilets jaunes.