Les textes de cette page sont inédits. La traduction a été faite par nos soins (D.V.P.). La plupart ont été publiés sur notre blog originel: comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com. Ce blog est défiguré par des publicités imposées. Pour consulter l’ensemble des articles, il est possible de charger un bloqueur de publicités tel adblock.
De nouveaux textes sont, au fur et à mesure de leur révision, ajoutés sur ce blog.
Ce travail, qu’il a accompagné dans les années 86 – 89 et qui inspire ce blog, est dédié à Gilbert Badia, aujourd’hui disparu.
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LE PRIX D’UNE VICTOIRE
19 décembre 1898, Leipziger Volkszeitung.
Les négociations de paix entre l’Espagne et les États-Unis ont scellé la victoire de l’Union. L’Union nord-américaine reçoit un territoire de 4OO OOO km2 avec une population de 12 millions d’habitants, dont 7 millions de race jaune et un million de race noire.
Il est intéressant de se poser la question de savoir combien cette victoire a bien pu coûter aux Etats-Unis. Nous ne comptons pas les pertes en vies humaines car la victoire doit tout d’abord être mesurée à l’aune de ce qui a aujourd’hui la valeur la plus haut : l’argent.
Dès après l’explosion du Maine, le caractère inéluctable de la guerre est apparu clairement à chacun dans l’Union et les préparatifs de guerre ont été rapidement entamés. Aussitôt, le Congrès donna, le 8 mars, son accord pour engager un crédit de 50 millions de dollars pour la « défense nationale », mais ce crédit fut rapidement épuisé, en l’espace de quelques semaines. Les États-Unis dépensèrent 18 millions de dollars pour l’acquisition d’une flotte de 101 bâtiments. Certains croiseurs comme le « Haward » ou le « Yale » revinrent chacun, pour chaque jour de guerre à 2OOO dollars, et le « Saint-Louis » et le « Saint-Paul » à 25OO dollars. Tout aussi onéreux étaient les canons de la marine, puisque chaque boulet de 13 revenait à 500 dollars et chaque boulet de canon de 8 mm à 134 dollars
Les achats nécessaires au renouvellement complet du stock de munitions utilisées par la flotte occasionnèrent une dépense de 65 millions de dollars. La destruction de la flotte espagnole au large de Manille par l’Amiral Dewey a coûté un demi-million de dollars, celle de la flotte de Cevera de même, tandis que les pertes de l’Espagne en bâtiments au large de Santiago devraient se chiffrer aux alentours des 16,5 millions de dollars.
De plus, 125 OOO hommes ont été appelés sous les drapeaux dès le début de la guerre entraînant le quintuplement du budget des armées.
En tout, les dépenses de l’Union pour son armée et sa flotte durant toute la guerre ont atteint 1 25O OOO dollars par jour, alors qu’elles se montent à 25O OOO en temps de paix..
Le crédit de 2O millions de dollars approuvé en mars par le Congrès a donc été très rapidement épuisé et les crédits se sont succédé si bien que la somme allouée se monte au total à 361 788 dollars. Quand il s’est agi de voter ces crédits, le Congrès patriotique, où l’influence discrète du trust de l’industrie sucrière joue un grand rôle, l’a fait avec toujours le plus grand enthousiasme. Mais il fallait bien aussi que ces crédits soient couverts par des liquidités. Et qui allait payer, si ce n’est la grande masse du peuple des États-Unis.
Le prélèvement des fonds patriotiques pour les besoins de la guerre fut organisé de deux façons. D’abord grâce à ce moyen efficace que constituent pour tout gouvernement capitaliste, les impôts indirects. Dès la déclaration de guerre, l’impôt sur la bière fut doublé, ce qui permit de récolter une somme totale de 3O millions de dollars. Les taxes supplémentaires sur le tabac rapportèrent 6 millions de dollars, le nouvel impôt sur le thé 10 millions et l’augmentation de la taxe d’affranchissement 92. En tout, les ressources provenant des impôts indirects s’élevèrent à 15O millions de dollars supplémentaires. Cependant il fallait en trouver encore 200 millions et le gouvernement des États-Unis eut recours à l’émission d’un emprunt national à 5% sur 2O ans. Mais cet emprunt devait aussi permettre de prendre l’argent des gens modestes, c’est pourquoi l’on organisa cette opération avec un luxe inhabituel à grands renforts de coups de cymbales et de roulements de tambours.
La circulaire annonçant cet emprunt patriotique fut adressée à toutes les banques, à tous les bureaux de poste et aux 24 OOO journaux. Et « le petit gibier » s’y laissa prendre. Plus de la moitié de l’emprunt, soit 1O millions de dollars fut couvert par la souscription de coupures inférieures à 500 dollars et le nombre total de souscripteurs atteignit le chiffre record de 32O OOO , tandis que par exemple le précédent emprunt émis sous Cleveland n’en avait rassemblé que 5O 7OO. Cette fois-ci, les économies des petits épargnants affluèrent, attirées par tout ce vacarme patriotique, elles sortirent de tous les recoins et des bas de laine les plus cachés pour aller remplir les caisses du ministère de la Marine et de la Guerre. Ce sont directement les classes laborieuses et la petite-bourgoisie qui payèrent l’addition de leur propre poche.
Mais ne considérer le prix d’une guerre qu’à partir des fonds dépensés pour sa conduite reviendrait à voir les événements historiques à travers le petit bout de la lorgnette d’un petit boutiquier. La véritable addition à payer pour la victoire sur l’Espagne, l’Union va devoir la régler maintenant et elle dépassera la première.
Avec l’annexion des Philippines, les États-Unis ont cessé d’être une puissance uniquement européenne pour devenir une puissance mondiale. Au principe défensif de la doctrine Monroe succède une politique mondiale offensive, une politique d’annexion de territoires se trouvant sur des continents étrangers. Mais cela signifie un bouleversement fondamental de l’ensemble de la politique étrangère de l’Union. Alors qu’elle avait jusqu’à présent à défendre simplement ses intérêts américains, elle a maintenant des intérêts en Asie, en Chine, en Australie et elle est entraînée dans des conflits politiques avec l’Angleterre, la Russie, l’Allemagne, elle est impliquée dans tous les grands problèmes mondiaux et soumise au risque de nouvelles guerres. L’ère du développement interne et de la paix est terminée et une nouvelle page s’ouvre sur laquelle l’histoire pourra inscrire les événements les plus inattendus et les plus étranges.
Dès maintenant, l’Union nord-américaine doit procéder à une réorganisation de fond de son armée pour défendre les nouveaux territoires qu’elle a acquis. Jusqu’à présent, elle disposait d’une armée modeste (30 OOO hommes dont 12 OOO pour l’infanterie, 6OOO pour la cavalerie, 4OOO pour l’artillerie, 8OOO fonctionnaires et 6O batteries) et d’une flotte d’importance secondaire (81 bâtiments représentant un tonnage de 230 OOO tonnes, 18 amiraux, 12 OOO matelots et 75O mousses.)
Il lui faut à présent procéder à une augmentation énorme de son armée de terre et de sa flotte. A Cuba et à Porto Rico, il lui faudra entretenir au minimum 40 à 50 OOO hommes et au moins autant aux Philippines. En bref, l’Union devra certainement augmenter les effectifs de son armée permanente pour les porter à 15O OOO voire 2OO OOO hommes. Cependant, une telle armée ne pourra pas être constituée sur la base du système actuellement en vigueur aux États-Unis. Aussi passera-t-on probablement au système européen du service militaire et de l’armée permanente dans les délais les plus brefs ; ainsi l’Union pourra-t-elle fêter solennellement son entrée dans le véritable système militariste.
De même la flotte américaine ne pourra pas en rester à ses modestes dimensions actuelles. Les États-Unis doivent s’imposer maintenant aussi bien sur l’Océan Atlantique que sur l’Océan Pacifique. Ils se voient donc contraints de rivaliser avec les puissances européennes et surtout avec l’Angleterre et devront donc très bientôt constituer une flotte de tout premier rang. En même temps que la politique mondiale, entrent aussi aux États-Unis ses jumeaux inséparables : le militarisme et les intérêts maritimes. L’avenir des États-Unis va donc aussi se jouer « sur mer » et les eaux profondes des océans lointains paraissent bien troubles.
Non seulement l’organisation militaire mais aussi la vie économique et la vie intérieure vont être profondément modifiées par les conséquences de cette guerre. Soit les nouveaux territoires ne seront pas intégrés comme pays membres de l’Union avec les mêmes droits et alors les États-Unis qui étaient édifiés sur une base démocratique se transformeront en État tyran. Et l’on peut avoir une petite idée de la façon dont cette domination va s’exercer en se rappelant les premières années qui ont suivi la Guerre de Sécession où les Etats du Sud étaient gouvernés par ceux du Nord et soumis à un régime sans scrupule de pilleurs (carpet-badgeur). Il n’est pas nécessaire de montrer plus avant les effets que peut avoir la domination sur des territoires étrangers, même exercée de manière plus humaine, même dans un pays démocratique, ni comment les fondements de la démocratie sont progressivement remis en question laissant place à la corruption politique.
Soit les territoires seront intégrés à l’Union et au Congrès en tant qu’État avec les mêmes droits que les autres. Mais on peut se demander quelles conséquences cet afflux d’un courant si profondément différent aura sur la vie politique américaine ; seuls les Dieux peuvent répondre à cette question. La question peut aussi être aisément formulée comme le fit Carlile (l’ancien secrétaire au Trésor de Cleveland) dans le magazine Harper : « La question n’est pas de savoir ce que nous ferons des Philippins, mais ce que les Philippins feront de nous ».
Dans ce dernier cas surgit une autre question importante. Si les habitants des Philippines, sont considérés comme des citoyens ayant les mêmes droits, leur immigration vers les États-Unis ne pourra être interdite du fait même de la Constitution des États-Unis Mais apparaît alors le fantôme menaçant du « péril jaune », la concurrence des Malais des Philippines et des Chinois qui y sont en grand nombre. Pour prévenir ce danger, une voie médiane est proposée : faire des pays annexés un protectorat ou quelque chose de semblable afin de pouvoir traiter au moins ces territoires comme des pays étrangers. Mais il est clair qu’il s’agirait alors d’un compromis et qu’il ne s’agirait que d’une phase de transition, qui se développera ensuite, soit vers une domination pleine et entière, soit vers une pleine et entière égalité des droits.
Mais on peut s’attendre encore dès maintenant à d’autres conséquences économiques et politiques suite à cette victoire. Du fait de leur entrée dans cette ère nouvelle de la grande politique navale, les États-Unis ressentent le besoin d’une liaison rapide entre les deux océans où ils ont des intérêts. La guerre avec l’Espagne a montré le caractère insupportable du détour forcé que constitue le contournement du continent américain. Aussi l’on s’achemine de plus en plus vers le creusement du Canal du Nicaragua. D’où l’intérêt de l’Union du Nord pour l’Amérique centrale et le désir d’y prendre pied. En Angleterre, on a compris cela et l’on voit ce qui va se passer avec une résignation forcée. « Il est absurde et de plus très dangereux », écrit le journal anglais l’économiste, « de vouloir se battre contre les faits, et c’est un fait que si les États-Unis veulent établir leur domination sur les côtes de l’Amérique centrale, leur situation géographique leur rendra cette domination possible. » La victoire sur l’Espagne entraîne donc des bouleversements pour l’Union, non seulement pour ce qui concerne sa position par rapport à la politique mondiale mais encore en Amérique même. D’autres effets encore inconnus pour l’instant devraient se faire sentir.
Ainsi, l’Union nord-américaine doit-elle faire face à une situation tout à fait nouvelle dans les domaines militaire, politique et économique, suite à sa guerre victorieuse. Et si l’on considère l’avenir, totalement imprévisible pour ce qui concerne l’Union, on est tenté de s’écrier pour résumer le prix de cette victoire : vae victori ! (Malheur aux vainqueurs !).
Ces bouleversements actuels des conditions d’existence des États-Unis ne tombent pas du ciel. Le saut politique vers la guerre a été précédé par de lents et imperceptibles changements économiques. La révolution ayant lieu dans les conditions politiques exacerbées est le fruit d’une évolution capitaliste progressant doucement durant la première décennie. Les États-Unis sont devenus un État industriel exportateur.
« Nos exportations » déclare Monsieur Gage, le secrétaire d’état au Trésor dans son rapport trisannuel, « se sont montées à 246 297 OOO livres sterling et nos importations à seulement 123 210 OOO livres ». Pour la première fois de notre histoire », constate-t-il avec fierté, « nos exportations de produits manufacturés ont dépassé nos importations ». C’est ce rapide essor économique qui a produit l’enthousiasme pour la guerre d’annexion menée contre l’Espagne, de même qu’il a permis de rassembler les fonds pour en assumer le coût. La bourgeoisie américaine comprend très bien elle aussi la dialectique de son histoire.
« La volonté de nous imposer sur le marché mondial », écrit le journal new-yorkais « Banker’s Magazine » a développé depuis longtemps le désir d’une « strong foreign policy » (d’une politique extérieure forte). L’Union devait devenir « a world power » (une puissance mondiale).
Si l’explosion sur le Maine pouvait donc être le fruit d’un hasard, la guerre avec l’Espagne, elle, ne l’était pas. Et la politique mondiale l’est encore moins.
Nous, qui avec Goethe trouvons « que toute ce qui existe est digne de disparaître » et qui considérons avec intérêt l’état des choses actuel, nous ne pouvons qu’être satisfaits du cours des événements.
L’histoire a donné un fort coup d’éperon à son poulain et celui-ci a fait un prodigieux bond en avant. Mais pour ce qui nous concerne, nous préférons toujours un galop vif et joyeux à un trot endormi. Nous n’en arriverons que plus rapidement au but.
Mais comme il apparaît comique, face à ces gigantesques bouleversements qui ont lieu dans l’autre hémisphère et qui ont provoqué un ouragan politique impressionnant, le raisonnement de ceux qui, en s’appuyant sur une décennie de statistiques dans le monde, affirment que l’ordre capitaliste est maintenant établi pour un temps indéfini et que cet ordre reposerait sur une base inébranlable. Ils font penser à cette grenouille qui considérant le calme régnant dans son étang boueux, explique que la terre s’est arrêtée de tourner parce qu’elle ne voit aucun souffle de vent agiter la surface verte de cet étang. Mais les événements historiques concernent un bien plus vaste morceau de terre que ce que l’on peut voir en se plaçant dans la perspective (digne de cette grenouille) de la politique « réaliste ».
Traduction 1988, Dominique Villaeys-Poirré – A partir du texte allemand publié dans les Gesammelte Werke, P 295-301, Dietz Verlag, Édition 1982
Pour consulter le site : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
Source : comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com – traduction 1988 (D.V.P.) – publié le 02.04.2014
Remarquable article, ce texte de Rosa Luxemburg écrit au tout début de son action au sein de la social-démocratie allemande, et au moment même de la signature du traité de Paris, analyse le basculement des États-Unis dans la politique impérialiste et les conséquences de sa victoire sur l’Espagne. On y trouve aussi bien des informations précieuses sur le financement de cette guerre, qu’une réflexion sur les conséquences incalculables et incalculées de cette politique à l’intérieur du pays comme sur le plan mondial.
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TRANSFORMATIONS SUR LE MARCHE MONDIAL
18 décembre 1898 – Sächsische Arbeiter-Zeitung – Chronique signée ego
La bourgeoisie anglaise est de plus en plus troublée par le déclin maintenant visible de la domination mondiale sur le marché mondial. L’auteur de l’ouvrage “Made in Germany” (“Produit en Allemagne”), qui a fait tant de bruit il y a deux ans en Angleterre, Williams, vient de consacrer sous le titre “machine arrière”, un nouvel ouvrage sur ce thème. Selon Williams, c’est l’Angleterre qui fait ainsi “machine arrière”. Tandis que les exportations croissent rapidement dans les autres Etats industriels, elles sont tombées en Angleterre de 215 à 196 millions de livres sterling, tandis que les importations vers l’Angleterre s’accroissent régulièrement chaque année. Ainsi, les exportations et les importations subissent-elles une transformation significative. Sur les 196 millions de livres sterling, total des exportations anglaises, 45 millions concernent selon Williams les matières premières, réimportées ensuite vers l’Angleterre sous la forme de produits finis, provenant essentiellement d’Allemagne. Ainsi l’Angleterre se trouve reléguée en partie au rôle que jouaient autrefois la plupart des pays par rapport à elle. Sur le marché mondial – en Asie, en Amérique – l’industrie anglaise doit reculer pas à pas. Et ce sont deux autres Etats devenus des puissances de premier plan qui maintenant se battent pour l’hégémonie sur le marché mondial – l’Allemagne et les Etats-Unis.
Diverses informations viennent corroborer les affirmations de Williams. Depuis quelques années, le gouvernement anglais lui-même se consacre avec zèle au problème de l’accroissement du commerce de l’Île avec l’étranger. Il envoie des agents vers l’Asie et l’Amérique, pour étudier les conditions de la concurrence et les carences du commerce anglais et il a publié il y a deux mois à peine un ouvrage sur “la concurrence et le commerce extérieur” où sont rassemblés 171 extraits des rapports des divers consulats, et qui constitue une critique approfondie des méthodes commerciales anglaises. Mais dans de tels cas, les mesures de l’Etat ne permettent pas de guérir le mal. Et la domination de l’Angleterre sur le marché mondial – ceci est inévitable dans le cadre de l’évolution générale du capitalisme – approche inexorablement de sa fin.
Comme il en a été autrefois de sa domination sans partage, le recul actuel de l’Angleterre sur le marché mondial sera d’une importance primordiale pour l’histoire du mouvement ouvrier en Angleterre. Dans son combat contre le prolétariat et du fait de son emploi de méthodes commerciales différentes, la bourgeoisie anglaise modifie aussi peu à peu ses méthodes de lutte. De nombreux symptômes significatifs montrent que, ces derniers temps, “l’harmonie entre capital et travail” disparaît aussi en Angleterre et qu’une nouvelle page s’ouvre dans l’histoire de la lutte des classes. Il suffit d’indiquer ici que Williams relie de manière caractéristique les deux phénomènes. Il dit à la bourgeoisie anglaise : “Vous êtes en train de perdre des millions et vous disputez chaque sou aux travailleurs. Là où un conflit pourrait être réglé en un jour par un Conseil de prud’hommes, vous, vous allez jusqu’à mener des guerres industrielles dévastatrices, tandis que vos voisins en profitent pour conquérir les marchés. La lutte des ouvriers dans la branche de la construction mécanique a coûté autant qu’une véritable guerre.
Si le déclin industriel de l’Angleterre a pour conséquence que la lutte des classes battent d’un pouls plus rapide et si le prolétariat anglais est alors largement guéri de ce qui restait dans sa pensée de rêveries d’harmonie qui règnerait dans la vie économique et politique, le monde ouvrier n’a pas alors de raison de regretter le recul commercial de l’Angleterre.
Traduction Dominique Villaeys-Poirré. (1988-1989). Nous sommes ouverts à toute amélioration de la traduction
Première publication en français – Samedi 27 septembre 2014 sur ce site Comprendre avec Rosa Luxemburg 2.
Texte allemand : dans les Gesammelte Werke, Dietz Verlag, Tome1/1
Pour s’informer sur la chronique signée ego : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/2014/09/16/rosa-luxemburg-une-chronique-nommee-ego/
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A QUOI SERT LA POLITIQUE COLONIALE?
11 décembre 1898, Sächsische Arbeiter-Zeitung, chronique signée ego
Les rapports annuels des consulats allemands et autres pour l’Asie et l’Amérique centrale montrent que la part de l’Allemagne dans le commerce vers ces deux parties du monde a augmenté de façon surprenante ces dernières années. Ainsi, le consul allemand de Vladivostok (Port russe sur l’Océan pacifique) indique par exemple qu’alors, qu’il y a quelques années encore, l’on ne rencontrait aucun bâtiment allemand dans ces eaux, on a vu en 1897 sur 244 navires marchands ayant accosté dans ce port, 84 bâtiments allemands contre seulement 56 navires russes, 45 japonais, 22 anglais. Les bâtiments allemands assurent une liaison régulière pour le transport de marchandises entre les ports russes et japonais ou chinois. Sur le trafic total des marchandises importées et exportées à Vladivostok, les 2/3 environ ont été assurés par des navires allemands.
En Chine, de même, comme l’indiquait récemment le Bremer-Weser-Zeitung, une ligne commerciale bihebdomadaire est assurée pour la première fois par des bâtiments allemands de la compagnie Rickmers de Brème, entre Shanghai et Han-K’eou, c’est le nom de ce port sur le fleuve Gyang-Tse. L’inauguration de la ligne Rickmers-Gyang-Tse (c’est le nom qu’elle portera) devrait avoir lieu en juin 1899. Le trafic de marchandises entre les deux villes suscitées est très important et cette liaison jouera un grand rôle dans le commerce chinois.
D’autre part, les exportations directes de marchandises allemandes vers l’Asie orientale augmentent elles aussi directement. Dans ce domaine, le port de Han-K’eou prend la première place et va bientôt devenir avec la liaison ferroviaire entre Pékin et Canton, le centre commercial le plus important de Chine. Le trafic de Han-K’eou remonte le fleuve mais il est ensuite empêché par les rapides. Alors que jusqu’à présent, tout le commerce de Han-K’eou était monopolisé par les Anglais, le consul nord-américain indique qu’il est maintenant presque entièrement dominé par les Allemands. Le commerce entre Han-K’eou et l’Allemagne a déjà atteint en 1896 45 mllions de mark.
Le consul anglais de Rio de Janeiro (capital du Brésil) relève le même succès de l’industrie allemande. Ici aussi, il y a peu, les Anglais étaient les maîtres de la situation. « Maintenant », écrit le consul « les Allemands concurrencent dans chaque branche, si fortement les Anglais qu’il est pratiquement impossible de nommer quelque branche que ce soit où ces derniers auraient rapporté un succès face à leurs rivaux.
Au Chili aussi, les exportations allemandes comme le rapporte le dernier numéro du journal anglais l’Economiste, les exportations allemandes ont presque doublé depuis 1887 et devraient bientôt dépasser les exportations anglaises, qui de leur côté n’ont augmenté dans le même temps que d’un tiers.
Que l’on compare maintenant les informations concernant le commerce allemand en Asie et en Amérique avec les misérables résultats du commerce avec l’Afrique sous domination allemande et la question se pose alors. Pourquoi l’Allemagne a-t-elle tant besoin en fait d’une politique coloniale ? Car ce sont justement les pays dont la conquête et l’occupation ont coûté au peuple tant d’argent, qui ont une importance pratiquement nulle pour ce qui concerne le commerce et l’industrie allemands, raisons pour lesquelles on aurait soi-disant entrepris cette conquête. D’autre part, l’industrie allemande s’implante dans les contrées les plus lointaines dans le cadre de la libre-concurrence avec les autres pays. En Chine aussi, elle s’est implantée bien longtemps avant que ne s’abatte sur le pays la poigne de fer de l’Allemagne et de façon tout à fait indépendante de la conquête de Kia Tchéou.
Aussi quand « l’Economiste allemand », alors qu’il décrit les tâches économiques de la nouvelle session parlementaire, parle des exportations de l’Allemagne en disant qu’elles sont négligées, encore dans les limbes, et cherche par là à justifier la nécessité pour ce pays de développer une armée de terre et un marine puissante, une politique mondiale ambitieuse, les faits réels s’opposent complètement à ces affirmations. Les exportations allemandes se développent d’elles-mêmes et n’ont pas besoin du militarisme. Ce qu’apporte cette aventureuse politique mondiale au peuple allemand, ce n’est pas l’essor commercial et industriel mais seulement d’énormes sacrifices matériels et humains.
Source: article publié le lundi 14 janvier 2008 sur comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com
Traduction Dominique Villaeys-Poirré (1988-1989)
Le texte original en allemand, support de cette traduction se trouve dans le tome 1/1 des Gesammelte Werke, Dietz Verlag. Edition Berlin 1982, P 283/285
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CONSTRUCTIONS DE CANAUX EN AMÉRIQUE DU NORD
http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/2014/09/16/rosa-luxemburg/
04 décembre 1898. Sächsische Arbeiter-Zeitung. (Un article de la première série de 4 articles de la chronique signée ego)
Les États-Unis d’Amérique du Nord ont entamé la construction de deux formidables voies d’eau, qui sont d’une grande importance, non seulement pour le développement économique de ce pays, mais aussi pour celui des États européens.
La première de ces entreprises consiste en l’élargissement de la voie d’eau Érié-Huron, qui relie l’ensemble constitué par les trois grands lacs, Supérieur, Michigan et Huron, à celui constitué par les deux plus petits, Érié et Ontario. Et à partir de là à l’Océan atlantique, grâce au fleuve Saint-Laurent.
Dès maintenant, cette voie d’eau peut-être considérée comme exemplaire; elle peut être empruntée par des vapeurs transportant jusqu’à 250 tonnes et pouvant aller à une vitesse de 70 à 100 kilomètres par jour. Mais aujourd’hui, on prévoit d’élargir cette voie et de la transformer de telle façon que des bateaux transatlantiques puissent l’emprunter jusqu’à Chicago. Dans ce but, on construit un canal d’une profondeur de 100 mètres et d’un coût d’environ 400 millions de Mark. La principale difficulté de ce nouvel ouvrage réside dans le fait que le niveau de l’eau change à plusieurs reprises; ainsi, par exemple, la différence de niveau entre les lacs Erié et Ontario atteint 100 mètres. Ceci rend nécessaire la construction d’écluses et d’ascenseurs. Il y en aura cinq en tout qui permettront de faire monter les navires transocéaniques grâce à un système d’air comprimé.
Cette nouvelle construction sera d’une immense importance pour le commerce des céréales. Les céréales venant de Chicago, principal centre céréalier des États-Unis seront transportées directement, sans être déchargées jusqu’à l’Atlantique et de là jusqu’en Europe, diminuant fortement les coûts de transport; cela favorisera considérablement la concurrence et aura une grande influence sur la situation de l’agriculture en Europe occidentale, de même qu’en Russie.
L’autre voie d’eau prévue aux États-Unis est la liaison entre les océans pacifique et atlantique par un canal traversant le lac du Nicaragua. L’éloignement des côtes est ici sensiblement plus important qu’à Panama, mais l’existence d’un lac en son milieu devrait en faciliter la construction. Le canal devrait faire 169,4 miles anglais de long et comporter six écluses et son coût devrait être de 280 millions à un milliard de Mark. Grâce à la construction de ce canal, les navires américains pourraient directement et dans les délais les plus réduits relier les ports l’Océan Atlantique à ceux de l’Océan Pacifique sans comme c’est le cas maintenant devoir effectuer ce colossal détour que constitue le contournement de l’Amérique du Sud.
L’extraordinaire signification politique et économique de cette nouvelle voie est claire. Et sa construction devrait, une fois les yankees à l’œuvre, connaître un sort plus heureux que la construction du canal de Panama qui a coûté et en vain tant d’argent à la petite-bourgeoisie française et tant d’honneur à la grande bourgeoisie.
D’une part ces deux gigantesques entreprises sont tout simplement les enfants des intérêts commerciaux et militaires, mais ils survivront à leur créatrice – l’économie capitaliste. Et d’autre part, ils montrent quelles gigantesques forces productives sommeillent au sein de notre société et quel essor connaîtraient le progrès et la civilisation, s’ils étaient enfin libérés des chaînes des intérêts capitalistes.
Source: comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com . Traduction Dominique Poirré (1988-1989) .
1ère partie publiée le 11 juin 2008, sous le nom : Texte inédit de Rosa Luxemburg : La construction de canaux en Amérique du Nord (1)
Le texte original en allemand, support de cette traduction se trouve dans le tome 1/1 des Gesammelte Werke, Dietz Verlag. Edition Berlin 1982, P 282/283
Consulter la présentation de cette chronique et les articles dans la catégorie : chronique ego
Présentation de l’article: Nous continuons la publication de courts textes, publiés en 1898/1899 par Rosa Luxemburg et qui sont actuellement inédits en français. Notre volonté est de donner accès à une compréhension fine de l’action et de la pensée de Rosa Luxemburg, en montrant leur genèse, la constance des analyses et leur application aux événements petits et grands de l’époque. Ces textes donnent une photographie du capitalisme en marche – à son stade impérialiste.