“Je prends tout cela avec calme, comme tout ce que l’on ne peut pas changer, contrairement au “Vieux” qui est inconsolable, comme un enfant. J’espère que toi aussi tu ne prendras pas cela trop au tragique, je travaillerai sérieusement, comme cela le temps passera facilement et vite.”
Lettre à Kostia Zetkin. [Berlin- Südende], le 27 décembre 1914
Niunius, tu m’as offert un si magnifique cadeau avec ce Turner. Ce n’est même plus un cadeau, c’est un véritable don. Je me sens riche comme une princesse et je peux passer des heures à le regarder. Comme mon petit cadeau pour toi semble bien misérable en comparaison. Je ne pouvais malheureusement pas faire plus et je sais que tu recevras bien cette babiole. Niunius, après avoir reçu ta lettre et celle de ta mère, je voulais venir vous rendre visite le deuxième jour férié, car j’avais le sentiment que cela vous ferait vraiment plaisir et que je ne serais pas de trop. J’avais déjà fait mes bagages et j’étais prête à partir, mais je n’ai pas pu tant je me sentais mal. J’ai certainement une jaunisse ou quelque chose de semblable, car je suis si épuisée que je ne peux pratiquement pas bouger, et je ne souhaite pas me montrer auprès de vous dans l’état où je suis. Ne pense pas que cela soit quelque chose de grave, je ne prends pas cela au sérieux, je voulais simplement expliquer pourquoi je ne viens pas. Au contraire je voulais d’autant plus venir que j’ai reçu de Francfort, le premier jour des vacances, l’ordre d’incarcération. Le jour n’est pas encore précisé, mais seulement l’indication que je dois purger ma peine ici et que la responsabilité de faire exécuter cet ordre a été transmise au Parquet de Berlin. Cela devient donc sérieux. C’est pourquoi je voulais parler avec ta mère et toi de l’ensemble de la situation et de nos plans; il faudrait le faire, peut-être que ta mère pourra venir si sa santé le permet.
Merci aussi pour le Seeley, je vais le lire tout de suite. Le Turner sera une constante consolation pour moi en prison. Je prends tout cela avec calme, comme tout ce que l’on ne peut pas changer, contrairement au “Vieux” [ndlt: Franz Mehring] qui est inconsolable, comme un enfant. J’espère que toi aussi tu ne prendras pas cela trop au tragique, je travaillerai sérieusement, comme cela le temps passera facilement et vite. Le fait que tu restes ainsi le bec dans l’eau me fait mal aussi. Mais je te conseille de ne pas rester à attendre et de travailler comme si tu ne devais pas partir, c’est le seul moyen pour ne pas perdre de temps et son équilibre intérieur. Il peut encore ainsi s’écouler des mois.
Mimi a eu en cadeau de Gertrud [Zlotto] une jolie petite balle, des figues et des harengs. Moi une jolie photographie de camarades de Duisbourg et un beau calendrier avec un portrait de Jaurès de camarades d’ici. Le temps est merveilleux, de la neige et un léger givre.
Niunius, sois calme et serein et écris moi vite.
Bisou de Mimi et N.
Traduction Dominique Villaeys-Poirré, – Publiée sur le site Comprendre avec Rosa Luxemburg 2, le 3 janvier 2015. Cette lettre est inédite en français. Elle se trouve à la page 30 du tome V de la Correspondance publiée chez Dietz Verlag (édition 1984). Merci pour toute amélioration de la traduction. Elle fait partie du dossier “Suivre Rosa Luxemburg en 1915” que nous entamons sur le site.