1894. Premières réflexions sur la Commune. Rosa Luxemburg et la Commune (2)

” Je propose d’ajouter un petit passage pour dire que la Commune n’a pas pu alors introduire le socialisme pour des raisons internes, surtout à cause de la façon dont était posée la question ouvrière en France, dans toute l’Europe et l’Amérique. Elle n’a pas même eu le temps d’effectuer les moindres réformes fondamentales au bénéfice du prolétariat, à titre de mesures provisoires, temporaires, dans le cadre du système actuel.”
“D’après ce que j’ai lu sur la Commune, on ne peut nullement attribuer le coup d’Etat du 4 septembre aux ouvriers proprement dits car là, c’est la bourgeoisie qui a mené le bal, les ouvriers ne sont intervenus qu’en tant que masse”,

 

Le courrier adressé à Boris Kritschevski (extrait)

L’extrait concerne le texte de B. Kritchevski publié avec la signature K, sous le titre “Kommuna Paryska 1871 r.” en 1894 dans le n° 9 du journal du parti la Sprawa Robotnicza

 

” Mardi, [probablement avril 1894]

… Maintenant au fait. Mes sincères remerciements pour l’énorme Commune. Elle est déjà entièrement traduite et au tiers composée. Mais j’ose attirer votre attention sur quelques petits détails qu’à mon avis vous devriez m’autoriser à modifier légèrement dans les épreuves.

1. Page 2 de votre manuscrit: “Les ouvriers français et surtout parisiens supportaient le gouvernement de Napoléon avec autant d’impatience que celui des rois qui l’avaient précédé. A la première occasion favorable, ils se sont soulevés et l’ont dépouillé de son trône”. D’après ce que j’ai lu sur la Commune, on ne peut nullement attribuer le coup d’Etat du 4 septembre aux ouvriers proprement dits car là, c’est la bourgeoisie qui a mené le bal, les ouvriers ne sont intervenus qu’en tant que masse, alors que, chez vous, on a l’impression qu’ils l’ont fait de leur propre chef et en pleine conscience.

2. Même page: “Napoléon a lui-même précipité sa chute. A l’été de 1870, il s’est mis en guerre avec la Prusse. Espérait-il” etc. Vous donnez à croire que c’est Napoléon qui a déclaré la guerre (alors qu’elle lui a été insolemment jetée à la figure). Et la dépêche d’Ems? Et l’affolement au Parlement de Paris à la nouvelle d’une guerre imminente? Je pense que ni la France ni Napoléon n’avaient l’espoir de vaincre ou même “de renforcer leur pouvoir”, ils avaient seulement l’intention de se défendre farouchement.

3. Page 13: Tout le passage de “la Commune de Paris n’a pas eu elle-même le temps …” jusqu’à “pendant deux mois”. On a l’impression que seul le manque le temps et les obstacles extérieurs ont empêché la Commune d’instaurer le système socialiste. Cette impression, qui provient vraisemblablement d’une disposition malencontreuse des phrases, jette à mon avis sur les faits une fausse lumière. Je propose d’ajouter un petit passage pour dire que la Commune n’a pas pu alors introduire le socialisme pour des raisons internes, surtout à cause de la façon dont était posée la question ouvrière en France, dans toute l’Europe et l’Amérique. Elle n’a pas même eu le temps d’effectuer les moindres réformes fondamentales au bénéfice du prolétariat, à titre de mesures provisoires, temporaires, dans le cadre du système actuel.

Page 17, la dernière phrase: n’y a-t-il pas erreur, ne vouliez-vous pas dire, cher, que les Versaillais sont venus à l’aide des Prussiens dans le siège de Paris et non le contraire?

Page 23: qu’est-ce que “les grandes écuries” et “les docks de Satory”? J’aurais voulu l’expliquer en note, mais je ne sais pas ce que c’est …”

 

Lettres de Paris, un document historique inestimable

La correspondance de Rosa Luxemburg existe en allemand chez Dietz Verlag et comprend six volumes. Le premier volume d’une version française est en cours de préparation chez Agone/Smolny pour publication en 2021. Elle constitue une source inépuisable d’information, d’indications sur la genèse de sa pensée, sur l’arrière-plan politique et personnel de ses articles, de ses discours, de son action. Mon travail depuis les années 80 a toujours mêlé étroitement étude des textes et des lettres. Ce qui a amené à la publication dès 2011 de cette lettre sur mon blog principal: http://comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com/article-rosa-luxemburg-la-commune-de-paris-extrait-d-une-lettre-de-1894-78863. Car, cela vaut tout particulièrement pour cet extrait de lettre. Rosa Luxemburg n’ a que 23 ans. Elle est déjà en exil en Suisse depuis près de quatre ans. En 1893, elle fonde sur des bases marxistes, avec d’autres militants, un parti (le SDKP) qui s’oppose au courant nationaliste au sein de la social-démocratie polonaise (PPS) et un journal la Sprawa Robotcza ((La cause ouvrière). Pour pouvoir l’imprimer, elle se rend à Paris. Elle est alors séparée de son compagnon Leo Jogiches, co-fondateur du SDKP (SDKPiL), ce qui fait des lettres parisiennes un document historique inestimable.

Les indications sur Boris Kritschewski sont précieuses et nombreuses. Parmi elles :

J’ai oublié le plus important: je veux faire de ce numéro de mai, le numéro de février, sinon, cela n’a pas de sens. Savoir quand ce numéro va paraître! Ce n’est pas grave que l’éditorial porte sur la commémoration du 18 mars (ainsi, l’article sur la Commune se retrouverait bien dans le numéro de février). D’accord?  Tome 1 P. 19. 13 mars – P 28 – 25 mars –

– “L’article de Kritschweski [sur le 1er mai] ne m’a pas plu. J’aurais préféré l’écrire moi-même, mais je vais m’efforcer de le retravailler. Tes remarques rejoignent grosso modo les miennes”. Tome 1 P 28 – 25 mars

– L’article sur la Commune est traduit Tome 1 P. 19. 13 mars – P 45 – 11 avril  (du russe en polonais)

La publication de cette lettre

Cette lettre se trouve dans le tome 6 des Gesammelte Briefe, P 24 à 26.

Sa publication en français est le témoignage d’engagements forts.  Elle est publiée d’abord chez Maspéro dès 1976. Dans “Vive la lutte” (P39/40). Sur le net, c’est le site pionnier “Bataille socialiste” qui donne accès à ce courrier et le site marxist.org qui le reprend: Mis en ligne par La Bataille Socialiste, avec les notes suivantes : “Original en russe publié en 1975, traduit dans Vive la lutte! Correspondance 1891-1914 (1975). Le texte envoyé par Kritchevski (“Kommuna Paryska 1871 r.”) fut publié dans le n° 9 de la Sprawa Robotnicza (« La Cause ouvrière »). L’intérêt de cette traduction avait été souligné par Georges Haupt, lors du colloque de mai 1971 sur le centenaire de la Commune, pour la remarque de Rosa Luxemburg sur la page 13 du manuscrit de Kritchevski (« la Commune n’a pas pu alors introduire le socialisme pour des raisons internes »).” https://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1894/00/kritchevski.htm

Les lettres à Boris Kriteschwski dans le tome 6 des Gesammelte Briefe

17.10.1893 – 17.11.1893 – 27.11.1893 – 1893/ 1894 – 04.1894 – 19.01.1895 – 05.06.1895 – 05.05.1897 – 17.02.1898 – 16.03.1895 – 19.08.1898 – 18.10.1898 – 21.05.1902 et 17.07.1891

Cette lettre se trouve dans le tome 6 des Gesammelte Briefe, P 24 à 26.

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